Au fil de l'autre

Carnet de notes de mes explorations: filage, tissage et teintures

Soin cuir - teinture indigo

12.4.2023 J'étudie depuis peu le domaine du travail du cuir (et donc les soins), je compte teindre quelques pièces en cuve d'indigo pendant ma semaine de teintures végétales. Résumé des recettes de savon et baume cuir.



J'ai retrouvé au grenier un stock de cuir que j'avais achetés du temps où j'étudiais la reliure. J'aimerais expérimenter les teintures, en particulier l'indigo, sur les morceaux plus clairs. J'en ferai soit une couverture de livre, soit un petit objet d'art.


Avant de m'y lancer, j'investigue un peu sur le sujet: achat, soin, couture, etc. Je ne connais par exemple des bases de soin que celles que j'ai apprises en équitation, pour traiter les selles, les rènes, etc. Voir la procédure de base

J'ai zoné sur le net et me suis décidée pour le forum leatherworker, où des pros semblent intervenir. J'ai choisi parmi les youtubeurs deux intervenants à suivre, dont l'un est français: Eric Deneken - raison pour laquelle je le relaye au principal (l'autre est Corter Leather, EN).

NB. Je me fie pour ces pratiques à l'expérience de pros du cuir sur de longues années. Si l'on grattouille un peu la littérature, on trouvera des conseils de conservation en musée assez différents: https://www.canada.ca/fr/institut-conservation/services/publications-conservation-preservation/notes-institut-canadien-conservation/soin-cuirs-tannage-vegetal-mineral.html. Je garde ça pour les musées...

Je commence par me faire deux produits: le savon cuir et la crème cuir. J'en ai encore un peu dans mon bac à cirage, datant de mes années "Cheval toi-même" (titre d'un livre que je comptais tirer de mes pérégrinations avec mon petit Ulysse).

Je résume ici mes lectures, ceci n'est pas un tuto!

 

Savon glycériné

Il faut retenir: éliminer les saletés (donc laver soit eau soit savon) et nourrir, mais sans gaver. A force de cirer, on va attirer les saletés!

On lave typiquement les cuirs avec un "savon glycériné", acheté en sellerie (+- 24€ le kilo). Un savon ordinaire niquerait toutes les graisses du cuir, le rendrait sec et cassant. Il faut qu'il vive encore, même après sa mort ;)

Je pourrais laver les cuirs très salis, ou un peu cartonnés, avec du savon de Marseille à l'ancienne, celui que j'utilise en buanderie, car il contient naturellement de la glycérine. Cette dernière est formée par le procédé de fabrication, résidu des graisses utilisées, à mon souvenir. Son défaut? Un peu alcalin. Mais à ce que j'apprends, les cuirs s'acidifient avec le temps... Cela ne peut faire de mal. Par ailleurs, on ne laisse pas tremper le cuir, on le frotte au savon puis on essuie.

C'est un peu du jeu que de refaire moi-même du savon à cuir, car j'ai conservé à l'obscurité et au sec mes objets en cuir (chapeau, jambières, bottines, selle, etc.) ainsi que les peaux achetées pour reliure. Ils se sont peu abîmés, peu encrassés. J'ai conservé dans le mêmes conditions deux vestes de cuir que j'ai achetées chez Emmaüs (beau cuir, bien conservé: j'ai payé des clopinettes).

La recette trouvée sur Leatherworker, telle que partagée par un pro, avec cire d'abeille et huile de pied de boeuf pour renourrir le cuir:

L'huile des pieds de boeuf (les "jambes", pas les sabots) reste liquide-visqueuse à température ambiante (pour des raisons de physiologie bovine). La cire d'abeille est solide. Voilà pourquoi il faut les faire fondre et/ou les mélanger à chaud.

En sellerie, on peut se contenter du savon glycériné ou de cette recette car, en nettoyant, elle nourrit aussi le cuir. Pas besoin d'ajouter de crèmes après ce traitement, la plupart du temps. L'huile de pied de boeuf, en particulier, est hypernourrissante, la cire d'abeille protectrice.

NB le lendemain. Ma recette définitive . J'ai pris le temps de réaliser la recette trouvée sur Leatherworker, telle que partagée par un pro, avec cire d'abeille et huile de pied de boeuf pour renourrir le cuir. J'ai mis dans un bocal, au bain-marie:


L'original prévoyait d'ajouter 1 cuill. s. de poudre à lessiver; j'imagine que c'est pour ajouter des tensioactifs. J'ai eu l'effet émulsifié grâce au vinaigre ci-dessous. Le résultat était à un pH de 8.5, j'ai rajouté du vinaigre (1 cuill. s.) jusqu'à un pH neutre. Au passage, le vinaigre à émulsionné la sauce, j'ai donc une crème. Y a plus qu'à la tester chez des amis dont les ânes ont des licols durcis à l'extrême. On s'y met ce week-end. Suspense!

Si des taches sont persistentes, j'utiliserais de la terre de Sommières pour les taches de graisse. A la rigueur de l'acétone (source la marque Sofolk - https://www.renovation-du-cuir.fr/informations/faq-degraisser-cuir_35.html: "L'acétone est un dissolvant très efficace. Il permettra de bien dégraisser (tâches de sébum, pollution ménagère), mais également de supprimer certains produits indésirables que vous-mêmes ou une autre personne aurait pu appliquer. "). Défaut: décolore. Pourquoi pas de l'essence de térébenthine, comme je l'emploie pour dégraisser du bois? elle contient encore un fond de résine, qui pourrait nourrir le cuir.. A investiguer. On peut aussi poncer le cuir, on le sait peu.

J'utilisais de l'huile PB de la marque Trimadel, achetée en sellerie proche de chez moi (fabrication Franche Comté). Pot quasi terminé. Je viens d'acheter de l'huile PB de la marque Starwax (en GB-bricos en Belgique), fabrication près de Lille, sources bovines françaises. Leur MSDS sheet est assez floue, hélas, on ne sait ce qu'ils rajoutent. En outre, leur HPB est liquide; or elle doit être visqueuse, collante pour être de la véritable HPB. Vu que leurs pubs prennent les gens pour des idiots (surfant sur la mode du "naturel"), je doute encore plus. Par souci d'honnêteté, je vais les appeler pour vérifier.

Les deux marques: autour de 40€ le kilo (on n'a besoin que d'un quart de litre à tout casser, car on en utilise si peu; mais je compare le prix au litre/kg en général).

En anglais, cherchez sur: "neatsfoot oil" - "neat" étant un terme ancien pour "bétail" (https://www.britannica.com/topic/neats-foot-oil); et vérifiez les MSDS, car souvent on vend sous ce nom des mélanges d'huiles minérales.

Crèmes ou baumes

Pour les articles de maroquinerie ou de sellerie/bourrellerie, on ne parle pas de cirage, mais de baume ou crème d'entretien. Couleur neutre. L'huile de pied de boeuf seule est utilisée, parcimonieusement, et rarement, pour renourrir à coeur lorsque le cuir a besoin d'une sérieuse rénovation, après nettoyage. Les cas où c'est utile sont rares: il s'agira plutôt de rénovations d'objets qu'on a oubliés dehors ou dans le grenier longtemps.

Le savon glycériné est utilisé pour nettoyer des objets trop sales pour être lavés par un simple coup d'éponge. Plus souvent, on est face au cas où il faut simplement protéger le cuir des intempéries et accidents de la vie. On emploie alors un baume de soin.

Je crème mes sacs en cuir deux fois par an; en sellerie, j'entretenais la selle et les rènes une fois par mois: nettoyage au savon glycériné si sales, à l'eau sinon; puis *si besoin* crème de soin . Cela s'évaluait au pif.

J'ai encore en stock de la crème de marque Leovet (un véto équinallemand - "Ce produit est composé d'ingrédients naturels comme l'huile de ricin, la lanoline, la cire d'abeille, etc.), qui dure depuis dix ans chez moi. C'est pour le plaisir de se reconnecter aux traditions que je voudrais refaire du baume ici. En essayant de revenir aux essentiels, tout comme en démaquillage on peut utiliser du ... lait de vache, tout simplement (source des termes : "lait démaquillant", etc.?).

Comment faire son propre baume? Il faut une base nourrissante, équivalente au beurre de karité et lanoline des recettes classiques; de l'huile pénétrante, équivalente à l'huile d'amande douce ou de ricin des recettes; de l'huile plus superficielle pour faire briller, à la rigueur; de la cire d'abeille pour protéger.

On trouve de nombreuses recettes sur le forum Leatherworker.net, recettes dont je peux mettre la composition en regard des produits du marché: on y trouve beaucoup d'huile de coco ou soja, de ricin, de cire d'abeille, beurre de karité, parfois d'huiles minérales, de lanoline, etc. Je testerai la recette suivante, car je ne vois pas l'intérêt de rajouter des huiles végétale ou même minérales à un produit animal, si ce n'est par croyance en la puissance du végé. L'auteur y est arrivé après de longs tests avec ces produits: il revient au boeuf, c'est logique (voir ci-dessous). En outre, mon coeur écolo saigne de devoir faire voyager tous ces produits exotiques alors que j'ai l'équivalent en local sous la main. Et enfin, pour l'huile de soja en particulier, je m'en voudrais de soutenir par mes achats une filière agricole qui est une des toutes grandes impostures de notre temps.

Pour une idée des proportions, Eric Deneken vend entre autres un baume de sa fabrication: Cire d’abeille, Huile de ricin , Beurre de karité , Huile de coco, Lanoline; ainsi que les produits Fiebing's. Il partageait sur sa chaine YT une recette (soin de la tranche/ soin du cuir, en pourcentage): 35/50 huile de ricin, 15/20 huile de coco, 20/10 cire abeille, 5/15 beurre de karité, 15/15 lanoline. Proche à quelques virgules près de ce qu'on trouve chez d'autres pros du cuir.

Si je n'avais que cela, sous la main... Mais j'ai de l'huile de pied de boeuf, qui me semble plus adéquate dans le contexte de peaux de bovins (j'en mets le minimum, la recette originale prévoyait 30g dans les proportions ci-dessous); tout comme me semble cohérent le suif que j'ai produit moi-même avec le gras de boeuf que m'a donné le fermier. Du gras de boeuf en biodynamie: le grand luxe! J'ajouterai de la cire d'abeille pour rester dans le même règne, et pour son effet antioxydant (antirancissement, semble-t-il - je publierai les sources des études plus tard).

Je ferai fondre à feu doux pour amalgamer, je ferai solidifier dans des petits bacs en carton de récup'. Ceci devrait ressembler à un bloc, à frotter sur le cuir.

NB Le lendemain: j'ai testé, c'est en effet bien dur. j'ai changé d'avis, je préfère garder séparés l'HPB et la cire, ce qui me permet de jouer de l'une ou de l'autre selon les circonstances. HPB quand je dois vraiment assouplir un cuir trop sec. Crème HPB et suif tous les trimestres, après lavage au savon glycériné. Cire simple pour imperméabiliser (intempéries). S'il y a de l'HPB partout, ça risque de sursaturer tous les cuirs.

Recettes

1= crème de soin 10g d'huile de pied de boeuf - abrégé HPB - et 30g de suif (fait maison,source Ardennes), diulé dans un peu d'essence de térébenthine

2 = cire = 1 vol cire d'abeille fondue, 1 volume d'essence de térébenthine, 1/2 volume d'huile de lin, comme je le fais pour mes meubles.

Tout en incolore. Je n'ai quasi pas ciré mes très vieilles chaussures Arche cuir lisse avec du cirage coloré, elles sont encore pas mal. Ce qui justifie le prix d'achat (en 2023 plus de 200€ la paire). Le cuir ET la teinture sont de qualité. J'ai des chaussures Arche qui datent de 2000 et qui sont encore très portables (pas pour une soirée, bien sûr...). Or, je suis peu soigneuse,sauf quand j'écris des billets sur le sujet et quand je me rappelle que le cuir vit et que je dois le nourrir.

Je n'utiliserai pas l'huile de coco, que j'ai pourtant en stock, car elle durcit à température belge. Si je veux le baume plus crémeux, j'ajouterai de l'huile (de lin ? car j'en ai un stock considérable). Je ne connais rien au comportement de l'huile de ricin, souvent prônée dans ces recettes - sauf ce que j'en lis ici: "castor oil has this specifiticy of a remarkable uniformity, with about 90% of the fatty acid chains of the triglyceride composed of ricinoleic acid, a natural fatty acid behaving a hydroxyle group, which is a unique feature in vegetal oils". En gros: avantage d'être émollient, lubrifiant, mouillant. Sa composition ne me dit rien, puisque je ne connais pas les capacités de l'acide ricinoléique. Tant que je n'ai pas compris avec l'aide d'un pro, j'éviterai. Rayon ricin, j'utilise avec bonheur au potager le tourteau de ricin comme engrais et comme répulsif de rongeurs (je peux enfin manger toute ma récolte de pommes de terre et ne plus en partager la moitié avec eux!). C'est la seule chose que j'en connais.

 

Je n'utiliserai pas de paraffine, que je vois dans certaines recettes (et que l'on repère dans la crème de soin de sellerie qu'on vend chez Décathlon), car on risque des traînées blanchâtres sur le cuir après. Et puis, une écolo cherche des solutions hors dérivés du pétrole; et locales si possible. Les produits Fiebing's et autres contiennent des huiles minérales pour des raisons budgétaires ( moins chères mais dont je n'ai que faire dans un produit fait maison).

Je n'utilise pas d'huile d'olive sur le cuir, celle qu'emploient tant de hobbyistes, car sa composition fait qu'elle laissera un effet poisseux en surface (et donc attirant les taches et les poussières). A la limite, de l'huile de lin? Quoiqu'elle risque de devenir cassante après maturation, vu sa nature à devenir un "vernis".

Pour faire pénétrer de la crème dans le cuir, je masse à main nue, ce qui est une procédure très agréable.Si mon mélange est trop dur, je chaufferai à distance avec un sèche-cheveux quelques instants (à 40cm).

Et voilà exposée ci-dessus ma réponse à tous les passionnés de chaussures et de blousons qui crachottent leur venin sur "les recettes de grand mère". Vous savez ce qu'elle vous dit, la grand-mère? Je sais que le net pousse à la crédulité, mais nous ne sommes pas tous des perdreaux de l'année, voyons!

Procédure de base: soin cuir

Lorsque j'ai acheté mon petit cheval en 2010, j'ai appris à soigner le cuir au cours d'un stage à Fontainebleau, dans une écurie de loisir. J'avais demandé de passer une semaine entière chez eux, pour apprendre tous les gestes de soins aux chevaux.

Ce que j'ai retenu et pratiqué: se procurer petite brosse dure, torchon, savon glycériné (achat en sellerie ou voir ma recette maison), huile de pied de boeuf (achat en sellerie, attention aux contrefaçons), crème de soin (s'achète aussi en sellerie, exemple la marque Leovet allemande ou
voir ma recette expérimentale), prévoir le matériel de cirage habituel comme brosses et chiffons.

Pour des cuirs sales: gratter au couteau les boues, éliminer le plus gros; nettoyer au savon glycériné et à l'eau; rincer au torchon mouillé, soigneusement - sans jamais imbiber; refaire deux fois si très sale (juger à la couleur du torchon...). Laisser sécher hors soleil, hors chaleur (surtout pas radiateur). Pas besoin de faire tremper dans un seau d'eau, le savon comme ci-dessus suffit. Si le cuir reste trop sec, ajouter de la crème de soin ordinaire, qui n'est jamais que du cirage incolore, très nourrissant.

NB. gants de jardin, en cuir - je les lave dans l'évier, c'est trop long de faire la procédure ci-dessus

Pour des cuirs séchés, cartonnés: idem ci-dessus, procédure au savon glycériné. Quand c'est sec (après 24 heures), masser de l'huile de pied de boeuf (HPB) véritable dans le cuir - sans saturer. Juste nourrir, délicatement. Le cuir reprendra sa souplesse assez vite. S'il reste terne, ne pas rajouter de l'HPB, c'est normal qu'il reste terne. Si on veut lustrer et protéger, utiliser la crème de soin: oindre, masser la crème à la main ou au linge de coton comme on cire des chaussurres. Laisser pénétrer quelques heures, puis brosser à la brosse douce (comme pour les chaussures). Puis lustrer au chiffon. Je termine la dernière passe avec de vieux bas nylon, quand je veux que ça brille. Qu'on voie que j'ai bossé, enfin...