15.11.2023 Après le dernier week-end de teintures, je découvre chez Catharine Ellis comment déteindre des zones de tissu
Je termine la lecture d'un livre de Catharine Ellis qu'on vient de m'offrir: Shibori Weaving.
On sait qu'on peut appliquer des réserves physiques (nouer, plier, mettre sous étau ccomme en shibori) ou chimiques (argile, farine de riz, etc.) AVANT de teindre, mais quand le tissu est teint, que peut-on faire? Mon amie T., qui teint en synthétique, voudrait faire des enlevages. Je lui fais un résumé de mes lectures.
Ellis y utilise des pâtes d'enlevage pour certains procédés, où l'on verse sur certains plis du shibori du thiox (équivalent de décolorant, comme l'hydrosulfite de soude) en teinture classique; et de l'acide tartrique sur des tissus en teinture végétale.
En teintures naturelles, Michel Garcia nous a appris qu'on pouvait enlever des parties de mordant, au jus de citron/acide citrique, avant la fixation du coton ou du lin. On ne peut procéder ainsi après que la teinture soit finalisée, à ma connaissance. Exception, selon Ellis: campêche, cochenille, garance, cachou, bois du Brésil (que je n'emploie pas, trop fragile).
Dans ces cas, la recette d'Ellis est de 1/2 cuill. s. de gomme adragante dans 1/4l d'eau, blender 3 minutes, ajout 1 cuill. c. d'acide tartrique ou crème de tarte (+- 4-5g). Michel Garcia propose 5 à 25g d'acide citrique (selon force d'enlevage) dilué dans 100ml d'eau + 1g de gomme de guar.
En version classique, deux produits sont disponibles pour enlever les couleurs ( "discharge" en anglais) sans autant abîmer le tissu que ne le fait l'eau de javel: l'hydrosulfite de soude et le dioxide de thiourée . On les connaît en général au travers des cuves d'indigo dites "chimiques", càd du XIXè siècle, début de la modernité galopante. Ces cuves ont plein de défauts, mais on va vite!
On peut peindre (il faut avoir la main sûre! et aimer l'effet fusant dans le tissu) ou, mieux, préparer une pâte d'enlevage (synonyme: gel).
Je voudrais essayer à la gomme arabique ou de guar, dont j'ai un bon gros stock. N'étant pas chimiste, je ne peux prédire le comportement. Donc: je testerai la stabilité et je verrai bien. Certaines gommes n'aiment pas du tout l'acidité, par exemple.
Chez Dharma Trading et chez Maiwa, le thiox est privilégié comme produit d'enlevage: plus sûr, plus fort, meilleure conservation. S'utilise sur cellulosiques, laine ou soie.
On l'emploie aussi à la place de l'hydrosulfite dans la cuve d'indigo à l'HS.
Apparemment (source anglophone), on trouve de l'hydrosulfite de soude combiné à une base dans Rit Color Remover, Tintex Color Remover, Carbona Color Run Remover. On trouve du dioxide de thiourée aussi combiné à une base (Thiox, Spectralite) dans Jacquard Color Remover, and Dharma Dyehouse Color Remover. Si vous trouvez un tuto texte ou vidéo sur l'un des produits, vous pourrez adapter la procédure soit à l'hydrosulfite soit au thiox.
NB 3.12.23 Je ne trouve pas de thiox chez nous. Le thiox à la droguerie Le lion n'est pas du dioxyde de thiourée (long échanges avec eux par courriel: mes essais étant décevants en essai de décharge). Le décolorant Jacquard coûte 16€ pour 238ml chez Aufildemma; en spray, même site, 15€ pour 118ml; 20€ par 250g sur Ma one; Rit Color Remover 13€ pour 60g! Le décolorant Idéal, fabriqué en France, décolorant pour coton lin viscose, coûte chez moderndroguerie.fr/ 8€ pour 330g
Penser que l'hydrosulfite de soude coûte 3€ les 250g!
On peut déteindre un tissu entier, au bouillon. Pour 500g de tissu ou de fil: 1 cuill. s. de cristaux de soude bombée (20g), ½ cuill. c. de savon liquide et 2 cuill. s. ou 10 grammes de produit d’enlevage dans 8 litres d’eau.
Ajouter le tissu teint, laisser frémir à 95°C pour le coton et lin; 85°C pour la soie; 90°C pour la laine.
Remuer souvent, délicatement pour la laine feutrable, comme en teinture.
Durée de 15-20 minutes, sauf pour la laine: 5-10 minutes.
Ajuster la durée selon la tonalité qu'on veut atteindre. Rincer, laver.
NB Laine: rincer dans une eau de même température, sans trop remuer la laine au passage. Laisser refroidir dans le bain de rinçage.
NB Laine et soie : dernier rinçage au vinaigre pour neutraliser la soude (3 cuill. s. de vinaigre domestique dans 4 litres d'eau).
Plus d'infos techniques chez Paula Burch:
"Tous les produits chimiques à décharge réductrice ont besoin de chaleur pour activer la réaction qui rompt les doubles liaisons dans les produits colorants. Certaines recettes nécessitent de l’eau chaude du robinet dans la machine à laver; la plupart nécessitent des températures plus élevées d’un bain de décharge (chauffé dans une casserole), d’un cuit-vapeur ou d’un fer à vapeur.
Une autre façon de fournir la chaleur humide nécessaire pour activer les agents de décharge est de cuire vos articles humides dans un four à micro-ondes de rechange qui a été placé à l’extérieur pendant l’utilisation. Il est recommandé d’utiliser un four à micro-ondes que vous n’utiliserez pas pour la nourriture. Ne pas micro-onder le tissu sec, car il va brûler. Enveloppez le tissu humide dans du plastique afin qu’il ne sèche pas pendant la cuisson ou placez une tasse d’eau au micro-ondes pendant que vous l’utilisez. N’utilisez pas un micro-ondes qui se trouve à l’intérieur pour chauffer les produits chimiques de décharge, car les vapeurs irritantes produites peuvent être mauvaises pour vos poumons. "
Une petite réflexion du dimanche, un os à ronger pour la semaine: quand on veut teindre au naturel, doit-on être puriste, si pas intégrise?
Certes l'hydrosulfite n'est pas un produit anodin, que je boirais. Mais il y a de la marge entre vouloir polluer le moins possible l'environnement, en tant que teinturier de hobby, et la prétention que l'on se limite strictement à des produits naturels au labo ou au studio. Si, en pur naturel, je n'ai rien d'autre, pourquoi pas un peu d'hydrosulfite, utilisé en atelier bien aéré?
Parmi mes copines de la fibre, nous ne sommes que deux à tenir bon: teintures naturelles et rien d'autre. Toutes les autres (une cinquantaine) ont choisi de rester en teintures synthétiques, à la rigueur en colorants alimentaires (pour leur réputation de non-toxicité; scoop: réputation usurpée). Mille fois j'ai entendu: "ne m'en parle pas, quelle prise de tête,tes teintures naturelles! Ma pratique est bien plus simple".
Si je veux les amener à s'intéresser aux teintures naturelles, il faut les prendre où elles sont, en acceptant quelques compromis. C'est exactement le travail que j'ai fait en nutrition depuis trente ans: j'ai tenu un discours plus souple que celui des naturos classiques, qui, pardon pour eux, font souvent "curé" et freinent l'enthousiasme de la majorité (donneurs de leçons de pureté: ça n'a jamais fonctionné, le clergé essaie depuis deux mille ans). On n'attrape pas des mouches avec du vinaigre. En gros, j'essaie de toucher l'émotion esthétique de mes copines fibromanes, de leur montrer la chatoyance des couleurs, la profondeur des tons en teintures naturelles. Je souligne qu'à part le mordançage en plus, il n'y a pas de grande différence entre les procédés synthétiques et naturels. Je m'empresse de n'ajouter AUCUN discours écolo-bobo-chiant, alors que, dans ma vie privée, je suis une écolo-bobo de concours: compost, recyclage, toilettes sèches, produits locaux, aucun produit industriel même bio ne trouve sa place dans mon assiette.
J'ai pris la peine de consulter diverses sources officielles sur la sécurité de l'hydrosulfite, à l'intention de ma copine T. En gros, c'est un irritant des yeux et il est toxique par ingestion (vous comptez vraiment en boire?); on le déconseille aux femmes enceintes. Pour le reste: le grand flou, il n'y a pas de données, tout simplement. J'ai vérifié les normes gouvernementales au Canada et pour l'Europe. Il faut aussi se rappeler que ces normes sont prévues pour des ouvriers qui y sont confrontés au quotidien, plusieurs heures. Relativisons: en teintures de hobby, même si on mène une cuve d'indigo à l'hydrosulfite, on n'y passe certainement pas plus de quelques heures par mois.
NB 2024. Par courriel, interrogé, Michel Garcia me rétorque le nombre de goîtres et cancers de la gorge chez les teinturières indigo au Sénégal. Utilisent-elles les mêmes protections que nous? Sont-elles bien informées? Ne serait-ce pas l'indigo synthétique qu'elles utilisent qui pose souci? Teignent-elles plusieurs heures, tous les jours? Ne sont-elles pas aussi en sous-nutrition (classique dans ces pays encore masculinistes où le meilleur sur la table est pour les mecs)? Corrélation n'est pas cause, il me faudrait une étude pour valider ce fait. Or, je n'ai pas trouvé grand'chose. Michel Garcia est une de nos étoiles en teintures naturelles. Il se DOIT d'être méticuleux et pointu, sa réputation est en jeu. Je n'ai pas la même posture: j'essaie d'ouvrir des horizons vers le naturel.
Je vois par ailleurs que Maiwa Textiles, très orienté teintures naturelles, reprend la procédure hydrosulfite sur leur site. Ils doivent aussi être confrontés à la nécessaire compromission avec des personnes qui ne pensent pas comme nous.
NB perso. Je n'ai utilisé ce produit que rarement, dehors, en été, car l'odeur m'incommode et le produit me donne des maux de tête quand je l'emploie dans l'atelier, au sous-sol. Mais, depuis toujours, je suis un canari de la modernité, surréactive à tant de produits en microdoses, qu'on ne peut généraliser mon cas.
En ce qui concerne les résidus, j'aimerais revoir mes bases et repérer quelle forme chimique réside dans l'eau que je jette. Le sulfite a dû se transformer au passage.
La doxa "naturelle" est si prégnante, ses mantras sont si peu discutés, que lors d'une discussion sur un forum, la webmaster a effacé un de mes commentaires parce que j'y mentionnais de l'hydrosulfite comme source d'enlevage, en réponse à une question d'internaute: "comment déteindre mon écheveau après une erreur de teinture?". Ce forum était ciblé sur les teintures de la marque Greenshade. Or, elles sont tout ce qu'il y a de plus "chimique" mais le producteur l'a vendu sous un joli nom, avec des promesses "garanti sans métaux lourds". Ce sont des teintures synthétiques classiques, dérivées du pétrole, qui peuvent être des irritants pour l'humain et le sont certes pour l'environnement. Effacer mon commentaire comme offensant n'était-il pas une marque d'autoritarisme mal informé? Le monde naturel semble contaminé par l'orientation qu'a semblé prendre le mouvement écolo depuis une dizaine d'années: sûr de son bon droit, prêcheur, accusateur, ce qui les fait surnommer "les khmers verts". Un peu d'introspection ne ferait pas de mal.
Je souris des freins qu'on oppose à l'utilisation de ces produits. Le profane sait-il le nombre de cochonneries sans nom qui sont autorisées dans notre environnement et dans notre assiette? Les perturbateurs endocriniens comme le glyphosate n'étant pas les derniers à scier la branche sur laquelle on survit.
Bref.
Je relance d'ailleurs ici un ancien billet, sur la rumeur qui veut que l'acide citrique ou le fructose prônés dans les méthodes naturelles sont des produits naturels. Pas du tout! Lire Je teins au naturel: acide citrique, fructose... Aheum
Retour aux archives