19.10 Je rebondis sur ma propre réflexion en fin d'un billet précédent: (en apprentissage du tissage) "je cours après le vent, c'est parfois ridicule". En fait, non. Je verbalise deux attitudes chez les novices.
Illustration en pédagogie de la cuisine, qui était mon métier jusqu'il y a peu. Quand on cuisine, deux attitudes: soit on a au frigo du poulet et des tomates et on improvise; soit on voit une recette alléchante et on fait les courses ad hoc avant de suivre la dite recette.
De tempérament créatif tout en étant novice, on est tenté par la première solution: improviser. On prend des risques! Gustatifs et techniques, si pas économiques (devoir jeter le plat).
Si, plus prudent, on suit la deuxième voie, on prend aussi des risques: se scléroser et ne rien comprendre à la cuisine, finalement.
Le juste milieu est de savoir quel chemin prendre, pour qui, et quand.
L'apprentissage de toute technique suit la même voie: quelque talent qu'on aie, il FAUT faire ses gammes au début. Ce qui, en tissage, équivaut à essayer quasi toutes les structures possibles parmi les armures de base, sur les divers fils qu'on a choisi d'utiliser - dans mon cas, les fibres nobles et naturelles que je file: les laines locales comme l'alpaga, l'angora, le macomérinos ou durables/équitables comme le chamelon de Mongolie, la soie (hélas ni bio ni locale) ainsi que le lin et le coton bio (que je ne file pas, je les achète en fils industriels). Sur un métier à 2 cadres, puis 4 cadres ou 8 cadres.Cela en fait des variables...
Pour faire ses gammes en noviciat: on choisit un modèle, on se procure les fils suggérés et on suit la "recette" à la lettre. A la différence de la cuisine, on peut garder l'échantillon dans un joli carnet. Ainsi, après un ou deux ans, on aura une large palette des possibles selon ses goûts et ses talents.
Quelles que soient mes compétences en pédagogie, je n'arrive pas à m'imposer ces contraintes. Toutes mes erreurs en tissage depuis le début (erreurs que j'expose avec joie en photos sur ce blog) sont dues au fait que je n'ai PAS utilisé les fils suggérés mais procédé à des mélanges approximatifs (et risqués pour un débutant) et que je n'ai PAS suivi le modèle à la lettre. Tu m'étonnes que j'obtenais des guenilles plutôt que des tissus...
C'est à ce travail que je m'attèle pour l'instant: m'imposer la contrainte de parcourir les types d'armures et de techniques, une à une et de les pratiquer au moins une fois. En garder des échantillons dans un carnet de travail et produire au moins un objet taille réelle (torchon, écharpe, etc.). Ce que j'ai fait récemment avec l'été-hiver, le tissage double, le thick and thin (FR?), la dentelle huck, les brochés ou inclusions (inlays), les armures factices (color and weave), le shadow weave (FR?), l'ajouré/effet chaîne (cram and dent en anglais), les effets de trame et de chaîne (warp and weft-faced), la toile diversifiée (diversified plainweave), la chaîne et/ou trame supplémentaire. La toile et les divers sergés comme le chemin de rose: c'est la base, déjà fait.
En 2018, quand j'ai acquis le métier Jane à 8 cadres, je m'étais concocté un programme de cours perso, avec "année 1", "année 2" etc. Je n'arrive pas à le suivre à la lettre, mais je ne suis pas loin.
Il me reste la technique Théo Moorman (pour les fils supplémentaires en trame), le crackle (FR?), la dentelle suédoise ou le bronson, le gaufré ou nid d'abeille, le basket weave (FR?), le taqueté. Je négligerai les frappés (overshot) qui ne me seront pas utiles dans mon désir de "peindre aux fils" - processus de peinture qui demande que soit laissée une marge d'improvisation.
Dès qu'est établie la palette du désormais tisserand intermédiaire et non plus novice , il peut enfin fonctionner comme le créatif qu'il est: tiens, voilà de beaux fils (que j'ai moi-même filés par exemple), dans des couleurs qui me plaisent. Quelle structure vais-je donc utiliser pour magnifier tant les coloris que la chatoyance/brillance du fil?