19.11.15 Coup de griffe de la semaine. Ah ! quelle désolation, quelle perte de talents ! Ecoprint, "teinture par contact", ecodyeing: le dernier cri du bricolage non durable.
Coup de griffe de la semaine. Ah ! quelle désolation, quelle perte de talents !
Pour la rédaction du récent billet "Explorer l'ambiance « nature » dans le monde du tricot, du crochet et du tissage", je voulais pointer le lecteur vers des vendeuses artisanales d'objets finaux en teintures naturelles sur matières nobles. Histoire de faire leur pub, dans l'ambiance "famille de coeur".
Une petite recherche dans les boutiques du site alittlemarket en France sur « teintures végétales » m’amène à de nombreux projets (foulards, coussins, etc.) à base de teinture par contact ou d’éco-dyeing, le dernier cri du bricolage non durable. Kfoui ! Acheter un tissu qui va s’affadir en deux ans ?
J'ai le livre d'India Flint sur l'ecodyeing, ce qui se traduit par "faire de vilaines taches sur de beaux tissus". J'aime pô du tout mais alors là du tout le résultat de ces bricolages. J'ai vu des centaines de blogs de pratiquantes, dont les résultats sont tous plus navrants les uns que les autres au plan esthétique - sauf pour deux artistes, dont les tissus ecodyed sont de vraies oeuvres d'art. N'est pas pollock qui veut.
Même le travail de Flint m'apparaît comme des gribouillis sans raison. Oui, bien sûr, on voit l'ombre du végétal, c'est "magique, ma chérie", mais cela vaut-il qu'on bousille de superbes matériaux nobles comme les toutes belles soies que des petits thailandais de cinq ans nous préparent? Certaines ecoteintent dans le compost!
Pardon, acidité extrême dans mon écriture aujourd'hui, mais le sujet m'irrite sans que je sache vraiment pourquoi. Peut-être parce qu'on est dans le faux-semblant naturaliste (ce n'est pas un travail à la gloire du végétal...), peut-être parce qu'on galvaude des centaines d'années de haute technicité en teintures?
Cela me chiffonne comme le ferait de la paresse intellectuelle et artisanale (ah ben si y a des taches, je vais dire que c'est exprès).
C'est pas "éco" du tout, c'est pas réfléchi, c'est pas pensé. C'est comme ma cousine qui me dit "faire du bio" parce qu'elle ne fait rien dans son verger. Elle fait peu de cas de la haute technicité des agriculteurs bio...
Les ecodyers ont-elles pensé aux ouvriers qui se sont laminé la santé pour produire de belles soies, de beaux cotons souples? A la pollution engendrée par ces productions, souvent asiatiques? J'ose même pas penser aux conditions sociales.
On accepte tout cela, le coeur en berne, c'est le prix à payer pour porter de belles robes fluides et chatoyantes. A la rigueur. Mais on accepterait ces ravages sociaux et environnementaux pour bousiller la fibre? On marche sur la tête, là!
Je visite souvent le site d'une poètesse de la fibre que j'ai la joie de connaitre et d'avoir interviewée (vidéo suivra... un jour): Clothogancho. Talent, finesse, équilibre, délicatesse. J'adore! Et pourtant, quand elle a fait de l'ecodyeing, je suis désolée , mais cela n'a rien à voir avec son art habituel. Tout le reste de ses créations est un envol de l'esprit et de l'âme.
Je ne comprends pas, mais vraiment pas, le succès de l'ecodyeing / ecoprint depuis quelques années.
Sauf si, philosophiquement, on accepte que l'Occident est en suicide doux et que ce chaos sur tissu reflète le chaos de nos âmes. Soyons honnête, je comprends mais je fais semblant que non... pour ne pas voir ce que je ne veux pas voir... Je suis comme tout le monde, on est humain, non?
Brèfle, sorry girls, je n'ai pas repris vos oeuvres dans le billet.
Je copie/colle une de mes réponses par mail lors d'échanges avec une teinturière alternative, Isatinctoria.
Qu’est-ce qui me dérange dans le travail de Kimberly Baxter-Wood (compost dyeing) ou d'India Flint (ecodyeing)? Pourquoi ne reprends-je pas leurs pistes dans mon blog, me demandes-tu?
Elles font un super travail de communication, c'est certain, mais elles chatouillent et gratouillent mon flanc éconologique.
Enfumage et enfouissage en rivières des céramiques faites maison, ça ne me dérange pas; on part de boue de toute façon. Je me suis beaucoup amusée avec ces pratiques, lorsque je faisais de la céramique. Mais... exécuter la même chose avec du papier artisanal (voir les rouilleuses de papier e.a.) et du tissu de qualité comme les soies qu’elles utilisent, ça me chiffonne beaucoup plus. Si on imagine le travail, les ressources naturelles qui ont été utilisées pour produire du papier et du tissu top quality...
Sachant aussi que Baxter par exemple lave ses tissus puis les bout deux heures avant de les tacher, quel gaspillage écologique! Il existe des joies artistiques pas chères de ce type sans jouer les Great Gaspy.
"Pas chères" signifie chez moi pas chères en réflexion, travail, aboutissement d'une technique. Je suis un peu dure avec elles, mais bon, si elles annonçaient "on est des bricoleuses, c'est pour jouer" mais elles se la jouent pro.
Le livre de Flint est cher pour quelqu'un qui cherche du contenu. Certes, de belles photos, une superbe mise en page, un texte soigné. Mais je trouve le contenu un peu pauvre techniquement (beaucoup de rumeurs) et déficient au plan pédagogique (essayez d'y retrouver une info, bonne chance!).
Flint est tombée pile poil dans une époque où on cherche "retour vers le futur" en se la jouant archaïste, d'où le succès de son approche. Vingt ans avant, cela aurait été à mon avis un flop. Aujourd'hui, on vit une telle confusion des valeures et des fondements que tout vaut tout. Si les filles réfléchissaient un peu plus à ce qu'elles font, elles se rendraient compte que le travail de Flint est juste un appel irrationnel vers un âge d'or supposé où nature primait sur culture.
C'est un scénario foireux de croire "jouer avec la nature" en laissant composter des matières nobles. Artistiquement et techniquement je n'y vois vraiment aucun intérêt.
Artistiquement: il n'y a pas d'écriture de soi dans le monde ou du monde en soi (ce qu'est l'art): tous les projets se ressemblent, on dirait des copiés/collés. Souvent hideux (les ecoprinteuses peuvent me retourner le compliment, pas de souci).
Techniquement, je vois sur les forums que les filles ne connaissent rien, mais alors là rien de rien, en teintures: et que je te balance plein de fer, de préférence sulfaté; et que je t'inclue n'importe quelle plante, sans même en connaître l'historique en teintures... Le résultat est souvent peu durable et les tissus s'abîmeront vite dans le temps.
Sociologiquement: passionnant.
Les ebooks de Baxter, par exemple, sont typiques de la mouvance je-m'en-foutiste et amateur d'instantané: fautes d'ortho et coquilles, pas de structure pédagogique, c'est un copier/coller de pages du site et d'un work in progress; ça se partage mais ça ne se vend pas (même si elle a réduit le prix de 11.5€ à 2.5€). On les lit une fois et c’est enregistré. Incomparable à un Jenny Dean , que je consulte souvent.
Baxter et la teinture à l’ocre que tu mentionnes: sur certains sites, la technique argile est bien plus clairement expliquée, par exemple. Et elle oublie de préciser que c'est de la Peinture, pas de la Teinture. L'ocre est un pigment pas un colorant naturel.
Refaire du bogolan, je comprendrais; mais juste des taches d'ocre? Qui passeront au lavage, d'ailleurs. En tant que métisseuse de techniques, ça m'attire mais il faudrait au moins que ça teigne et que ça tienne...
Je suis aussi agacée parce que ça décrédibilise les autres teinturiers alternatifs comme moi aux yeux des formateurs/informateurs pointus comme Garcia, qui tend à nous mettre toutes dans le même bain de bricoleuses.
Le pitch: si, cherchant à apprendre la teinture, vous rencontrez un prof' qui martèle des pétales de fleurs (c'est du faux-tatakizome), réfléchissez à deux fois. Ce n'est pas de la teinture.
Si l' enseignant mentionne des "blankets" ou "couvertures", il fait probablement de l'ecodyeing, qui n'est pas non plus de la teinture traditionnelle, mais du bricolage éphémère et peu informé; ce n'est pas non plus écologique. Les termes "impressions botaniques", "ecoprint", "ecodyeing", "bundle dyeing" signalent autre chose que des cours de teinture. Soyez en conscients quand vous faites un choix.
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