Au fil de l'autre

Carnet de notes de mes explorations: filage, tissage et teintures
  

Teinture végétale - procédés perdus?

3.12.2015 Mes copines aventurières de la teinture et moi même ne sommes pas de simples rebelles contre leurs Pères: "ah vous faites comme ça? Eh bien nous on fera comme çi, parce qu'on est plus malignes". On a largement dépassé l'adolescence. En fait, je crois qu'on cherche des procédés perdus, même si on ne le verbalise pas ainsi.




Parmi les procédés probablement perdus: est-il possible de teindre à froid ou quasi, sans chauffe extrême en tout cas - même la laine, dont on dit que la structure en écailles demande la chaleur pour s'ouvrir.

Depuis que je me suis attelée à cette voie en 2012, je pars du principe que les peuples anciens et premiers ne pouvaient se permettre de gaspiller tant de combustible s'il y avait une autre technique possible. Il faut avoir fait un stage de survie ou avoir vécu au sein d'une tribu première pour se rendre compte de ce que toute cette eau à chaufer coûte en énergie!

Depuis ces milliers d'année que les hommes teignent, parmi ces milliards d'humains, certains ont bien dû expérimenter et trouver des procédés peu énergivores. Mais.... on dirait que les historiens de la teinture ne se fient plus qu'aux auteurs du XIXe qui, par leur passion toute fraîche des procédés chimiques et industriels, pourraient bien avoir obscurci l'horizon.

Dans un relevé des techniques traditionnelles du peuple Meitei, au nord est de l'Inde ("Vegetable dyes used by the Meitei community of Manipur", dans le Indian Journal of Traditional Knowledge), on voit qu'une grande partie de leurs teintures se font à froid - en particulier pour les fleurs, ce que nous teinturières à froid de hobby avons déduit aussi de nos expériences.

J'ai cité dans un très récent billet la technique turque à l'ancienne de violet de garance à froid, par fermentation.

Sur sa page FB, Leentje van Hengel (NL) affiche une photo de velours teint en extrait colorant de garance - version classique (corail) et version à froid (rouge dense) - il faut lire attentivement le procédé, car le corail a été mordancé à chaud, le rouge à froid. Mordançage: tanin puis acétate d'alun. Or, si la chaleur importe peu pour les tanins, elle endommage l'acétate d'alun. Le résultat est donc normal: on abîme l'AA à chaud. C'est une erreur qu'on fait tous au début.

Dyeing the same silk/viscose velvet in 12 % madder extract with slow proces. Light colour was mordanted with 26 % gallnuts and alum and soda ash hot proces.  The deep colour was mordanted with 32 % gallnuts and then everything the same but cold process. Amazing how much stronger it dyes while saving energy....

Je ne cite pas ici les blogs qui pratiquent la fermentation à la Rieger, qui est une autre approche. Dans les teintures à froid ou quasi-froid, il se pourrait que la tenue lumière soit en outre meilleure. C'est ce que prétend Anne Rieger. Sans preuves... oh que j'aime pas ça... J'ai pu voir chez Isatinctoria près de Lyon des écheveaux de soie teints à froid, en méthode Rieger, exposés au soleil du midi depuis plusieurs années, selon elle. Superbes couleurs. Mais uniquement sur laine et pas sur les jaunes. Voir ma page sur mes propres tests. Voir l'interview de Michel Garcia sur la méthode Rieger.

J'ai gardé mes multiples petits échantillons de teinture Rieger acide/alcalin à froid dans des classeurs depuis 2012. Je les sors et je les exposerai à la lumière de Toulouse cet hiver, faute de patience pour attendre l'été et la belle lumière.

NB 4.12. Le 25 novembre, j'ai exposé au Sud quelques échantillons teints en curcuma par fermentation (au début, lorsque je suivais à la lettre la méthode Rieger). En quelques jours, la couleur pâlit déjà. Et on est au "soleil" de la Belgique fin novembre...

Chez Grackleandsun, je n'ai vu qu'un test, mais assez probant: ses tests lumière de phytolaque indiquent que la procédure à froid a maintenu le ton alors que les autres indiquaient la fugacité. Voir le billet.

Autres sources pour mes macérations en anglais: http://growingcolour.blogspot.be/ qui fait du solar dyeing long même en hiver, elle laisse les fibres parfois des mois dans les bocaux, ce qui revient à une macération longue

Voir aussi expériences de http://grackleandsun.wordpress.com/ : bain froid de phytolaque macéré deux mois en vinaigre (fibres trempées 9 jours).

Technique de garance à froid (cool dyeing) de Nest Rubio: anciennement relatée dans un article http://www.rugreview.com/13-3nest.htm, article hélas disparu. En gros: laine mordancée pendant des jours dans bain froid puis ajoutée dans un bain de teinture de garance acidifié - tests à 25 30 et 40°C.
Voir l'adaptation en détail, sur http://www.wildcolours.co.uk/html/madder_dye_nest_rubio.html (ajout de craie dans le bain). "L'alizarine n'est pas très soluble à des températures froides et se dissout lentement, d'où la longue durée de teinture" (ma traduction). Elle fait macérer à froid de la garance pendant 7 jours, ne l'acidifie - mais ça doit arriver sur 7 jours, évolution normale du vivant. Puis y trempe la laine mordancée humide. On ne sait combien de temps la fibre reste dans le bain, où la garance continue à donner sa couleur.

Fermentation ou solaire avec diverses plantes chez Leena de Riihivilla. La dernière http://riihivilla.blogspot.be/2014/07/fermentation-dyeing-kaymiskyypit-ja.html: avec du solidago (golden rod) . Elle a aussi adapté la technique de garance à froid de Rubio – voir http://riihivilla.blogspot.fi/2009/06/cold-dyeing-with-madder-krapin.html. Elle laisse fermenter le bain de garance 20-30°C pendant une semaine, fibres dedans . Elle ne précise pas si elle l'acidifie comme Rubio.

Les textes anciens indiquent que l'encre de phytolaque utilisée pour la Constitution américaine, bien conservée, était à base de baies fermentées - fermentation qui se fait souvent à froid.

NB 2020. J'ai appris chez Jenny Dean qu'on pouvait extraire la couleur, ou même teindre, en macération alcaline à froid.

Synergie des plantes

Quid de la synergie des plantes selon nos Anciens? Serait-ce aussi un procédé perdu?

Parlant résistance lumière, dans aucun des textes classiques ou anciens (enfin anciens du XIXe...), je n'ai vu qu'on interrogeait la synergie possible des teintures entre elles - et l'effet de cette synergie sur la tenue lumière ou la beauté de la couleur. Eleonore Moine affirme que teindre ensemble un couleur fugace avec une couleur stable lui donnerait plus de force, mais je n'ai pas ses sources ni ses expériences. Je lui fais confiance car c'est une femme intelligente, mais je vois qu'elle ne promeut plus que les teintures alimentaires. Serait-ce que ses procédés végétaux purs ne sont pas si efficaces? L'interviewer à ce sujet.

Dans le livre de Dambourney, il a testé des adjonctions pour maintenir la couleur du campêche, qui passe au brun avec le temps. Si l'on ajoute au bouillon de teinture del'écorce de bouleau ou de peuplier (précisément, car il ne cite pas les autres sources de tanin), la couleur devient stable. J'ai testé cette procédure pour mes teintures à froid cet été: la couleur ne passe pas, en effet.

Je suis très amateur de ces retours de terrain. Je viens de lire chez Madasilk que, par hasard, en testant de la teinture de rose de carthame pour une reconstitution historique, ce fameux superbe rose si fugace, elle a découvert que sur un pied de rocou et sur soie, il tient la distance. Alors que le rocou ne résiste pas non plus à la lumière vive. Deux sensibles qui font un fort, mais on dirait l'histoire d'un couple ma parole...


Voir son billet
: rocou et carthame + tests lumière. J'ai du carthame et du rocou en stock -> je teste de teindre de la soie maubère en rocou d'abord, puis en carthame.

Extraire le maximum de couleur

Autre procédé qui peut avoir été perdu: relance de bain de couleurs. Leena du blog Riihivilla a aussi observé que, lors de ses expériences de macérations, les bains qui semblent épuisés relancent de la couleur si on y laisse la matière source. Cela devait aussi être un atout pour nos aïeux, qui avaient autre chose à faire que passer leur dimanche à glaner des végétaux avec les enfants. Tirer le maximum de colorant d'une plante est une prouesse.

Ce billet est en cours d'évolution.


Retour aux archives