Slow-dye

Teintures naturelles pour les curieuses et les flemmardes
  

24.9 Essais au phytolaque, la suite

Septembre, je reteste le phytolaque, comme suite aux derniers billets (dont le dernier est ici) . Je ne suis plus la recette de Carol Leigh, dont le résultat n'avait pas tenu la lumière selon mes tests. Une recette propagée comme un feu de forêt sur les blogs, encore un symptôme de psyttacose (à vos dicos!).  Je m'inspire ici du livre de Marie Marquet . Je relis son livre pour l'instant, elle semble annoncer une bonne tenue en macération longue de 10 à 15 jours (qu'elle appelle fermentation, terme que je n'utiliserai pas car on ne sait pas ce qui s'y passe, alors qu'en vraies fermentations on connaît toutes les tribus de microorganismes). Or, cette dame est très fiable. Je vais donc réessayer avec sa technique.

Il y a quelques jours j'ai reçu les bouteilles qu'une amie du forum tricofolk m'a envoyées par poste, avec baies, rafles, feuilles et tiges de raisin d'amérique qu'elle a pu récolter le long du canal du Midi. Encore merci à elle! Mondial relais a un peu traîné entre nos deux pays. Dans une bouteille, les baies étaient bien humide, prêtes à être extraites ce que  j'ai fait immédiatement. Dans l'autre, en revanche, c'était sec et à moitié moisi (la partie plus sèche de son envoi, raffles avec quelques baies, a donc bien mal supporté le transport) mais j'ai quand même ajouté ce contenu à ma mixture: j'ai passé cela comme le reste à l'extracteur à jus - le contenu de cette dernière bouteille: pas une goutte de liquide! J'en aurais attendu un peu, car j'ai déjà broyé des tiges fines de plantes.

J'ai combiné le jus et le broyat, ajouté de l'eau (du robinet, calcaire chez nous, dure) + du vinaigre au pif. Le pH du tout = 4. J'ai ajouté les feuilles broyées et les tiges concassées. Le fait que le tout soit broyé accélère le lâcher de force tinctoriale. Je n'ai donc pas attendu quelques jours comme le conseille Marie Marquet (aussi pour acidifier, j'imagine, ce que j'ai  fait avec le vinaigre). J'ai laissé tremper une nuit un chouïa de merinos et une pincée d'alpaga (lavés, alunés à 8%).

Au rinçage, ils dégorgent beaucoup, comme avec la cochenille (mais moitié moins, je dirais). Séchés hier soir, j'ai testé de laver une partie du merinos déjà sec au savon de marseille: la couleur s'assombrit, (j'ai attendu qu'il sèche pour que la couleur soit bien oxydée, bien pénétrée, c'est peut être un acte magique, mais j'ai l'habitude de faire cela).

J'ai laissé le petit témoin de pH sur le bout de mérinos, pour me rappeler ce qui était alcalinisé par le savon de marseille (voir photo). J'obtiens du pourpre très dense sur merinos (normal, il y avait 500g de matière tinctoriale, j'y ai plongé un dixième de gramme de laine à tout casser), de l'incarnat lumineux sur alpaga.



La différence avec mon dernier test? J'ai teint des laines passées au préalable à l'alun, alors que Carol Leigh prétend que les mordants minéraux sont incomptabiles avec le phytolaque. Vu que, chez moi, son affirmation qu'il tient à la lumière n'est pas juste, je ne la suis plus sur cette recette. Mes premiers tests étaient soit mordancés au vinaigre, soit au symplocos. Ici, mordancés alun.
La photo est trompeuse: l'échantillon lavé marseille est clairement plus sombre, plus rouge.
Je vais filer le tout, et voir si la différence n'est pas plus claire en photo
Ce midi, je vais teindre à 70°C du merinos et de l'alpaga alunés. On verra la différence de ton.

Je ne testerai plus la résistance lumière, j'utiliserai en pull d'hiver. Pas d'UVs en Belgique ni à l'intérieur, pas de déteinte en vue. Selon Marie Marquet, réputé solide au lavage, c'est tout ce qui compte.



Photo du fil (navajo, donc parties superposées): en gros on voit mieux pourpre (le mérinos) et incarnat (l'alpaga blanc) + le fil du bas qui tire plus vers le violet dense (merinos, du bleu ajouté au pourpre, c'est la partie que j'ai un peu alcalinisée par lavage au savon de marseille)



Tout est aluné, je compare à côté de cochenille pour un repère

  • à gauche: alpaga en nuage, écharpillé quand sec, teint cochenille en fin de bain (mais avec ajout d'alun, sera dans un autre billet)

  • milieu: idem teint en phytolaque acide cuit 60°C 1h
  • droite: idem teint en phytolaque acide, oublié le bain, il est monté et resté à 85°C pendant 2 heures! clairement le bleu de cette plante n'aime pas la chaleur
    (et clairement quand j'ai des passages à vide, si épuisée, je ferais mieux de rester au lit aheum)
    http://slow-dye.fr/2018/A/.jpg

pourquoi je repère le bleu? la couleur de droite me sert en général de base (garance ou bourdaine) pour faire un beau grenat après passage en indigo, je déduis donc que c'est le bleu qui s'est barré à la surcuisson



ruban de soie aluné

 

  • à gauche: teint cochenille en fin de bain - 80°C 2 heures (bain contenant de l'alun en plus)
  • milieu: idem cochenille cuit 60°C 1h
  • droite: en phytolaque acide,  60°C 1h
  • tout à droite: dans ce bain de phytolaque acide, resté à 85°C pendant 2 heures


Et enfin, le merinos, aussi aluné

  • à gauche: teint cochenille en fin de bain, 80°C 2 heures (mais avec ajout d'alun, sera dans un autre billet)
  • milieu: teint cochenille en fin de bain, 60°C 1 heure (aussi avec ajout d'alun)
  • droite: merinos teint en phytolaque acide cuit 60°C 1h

Au passage, je ne comprends rien aux teintures finalement: j'ai réutilisé le bain de phytolaque qui avait cramé 2 heures à 85°C avant hier (pour me donner une couleur cuivre très orangée), je croyais avoir transformé les principes tinctoriaux (et abîmé les bleus). Hier j'y ai fait chauffer à 60°C pendant 1/2 heure une poignée d'alpaga blanc: j'obtiens un beau rose lumineux, proche du résultat de la phytolaque classique en fin de bain . C'est donc le dialogue entre la fibre et la teinture qui a déliré en bain trop long trop chaud? La teinture elle même semble s'en être sortie

Conclusions: je continuerai à aluner, c'est plus simple. Je ne phytolaquerai que les laines et les poils, pas la soie. Je teindrai en bain très acide (pH 4). Si je chauffe, ce sera sous la barre des 70°C, de préférence 60°C. Je peux laver au savon de marseille après oxydation (cela ravive les couleurs, je le fais pour quasi toutes les teintures laine), car la couleur change peu. Le phytolaque ne sera pourtant qu'une source secondaire car:

  • 1/ pas très écolo, vu qu'on utilise une envahissante (quoique... en niquant les baies au moins elle ne peut pas se reproduire, juste?)
  • 2/ encore moins écolo de la faire envoyer de l'autre bout de la France dans mon cas perso
  • 3/ le rose de fin de bain est le même que cochenille; le grenat le même que garance  + indigo; il n'y a que le pourpre que je ne peux pas obtenir autrement
  • 4/ cette plante  ne teint pas la soie, je peux l'oublier pour mes filés mains auquel je rajoute de la soie en retors (ce qui est très souvent, car j'aime la solidité fine de la soie, c'est presque mythique pour moi)