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19.1.2025 Est-il possible d'obtenir du rouge de garance sur laine en bouillon max'? Oui!
aussi un petit encart sur la recherche de faux pourpre par Micky Schoelzke
On sait qu'on peut faire bouillir la garance "cordifolia" (indienne, à feuilles en coeur), mais c'est principalement la garance tinctorium qui est vendue par chez nous. Celle-ci ne peut pas bouillir, nous dit-on. Dans une vidéo sur YT,, Debbie Bramford, teinturière en reconstitution historique (the Mulberry Dyer), montre comment elle a produit un beau rouge en faisant bouillir la garance commune. Elle s’est inspirée d’une source Renaissance (« le » Plictho de Rossetti), selon laquelle il est important de déposer fibre et garance **quand l’eau bout** et de garder le bouillon pendant 1/2 heure.
On se questionne sur les raisons d’être du rouge dans cette recette, là où on attendrait du brun (garance commune = bouillon est toujours brun selon notre équation commune). Les hypothèses vont bon train. Selon Micky Schoelzke, par courriel : « La clé c'est l'étape entre la récolte et l'usage à mon sens, très différente de ce qui est fait actuellement quand on achète de la racine de garance ».
Merci à elle au passage d'avoir pointé cette recette par courriel, quand je discutais de sa recherche documentée sur le faux pourpre (fascinant travail, régalez-vous!).
Mon soupçon, que j'essaie de valider par des tests (sans prétention de chimiste):
Par mon ancien boulot en nutrition, je sais pourquoi on ébouillante les légumes avant de les congeler (ou même de les cuisiner) - c’est la même excellente raison qui me fait déposer les légumes dans le panier-vapeur après l’apparition de la vapeur et pas avant : des enzymes de dégradation des vitamines sont actifs entre 40° et 70°C. Si on jette les légumes crus dans l'eau bouillante, on contourne cette étape, les enzymes de dégradation ne seront pas activés. Si on les laisse cuire dès le début de chauffe (pensons pommes de terre déposées dans l’eau froide, plutôt que versées dans l’eau déjà bouillante), on passe par ce cap de perte de vitamines par voie enzymatique.
Serait ce la cas avec la garance, où des enzymes sont désactivés lorsqu’à la suite de Plictho et de Bramford , on dépose la laine et le nouet de matière *quand c'est bouillant*?
J'ai trouvé le pdf du Plictho de Rossetti via un dropbox - merci à cet internaute. Plictho signifierait "collection d'instructions"
Ce week-end, j’ai reproduit le test en me compliquant la vie, comme d’habitude.
Trois tests , sur de la laine alunée à 12% et 4% de crème de tartre (mon habitude) – des mèches pour A et C, du mérinos pour B – avec de la garance tinctorium en poudre (source MichelGarcia.fr). NB. Je fais souvent des tests en mèches/locks weynsleydale ou en ruban, car je peux facilement en tirer une en cours de test.
A/ laine weynsleydale dans eau bouillante (eau de distribution non calcaire, via adoucisseur + 1 cuillerée de craie) sans compter le dosage de mèches (une poignée) et de garance (une cuillerée à café?) - gardé le bouillon fort.
Dès le premier bouillon, le ton de la laine était d'un très beau coq de roche/orangé - sorti une partie des locks à minute 10, 20 puis 45 (voir photo nr 1). Laissé bouillir tout le long. Laissé le reste dans le bouillon toute la nuit, hors feu. J'ai passé la moitié de chaque échantillon 1/2 h en bain alcalin (idem en bas sur photo en annexe).
J’avais ajouté par curiosité un fil de coton mordancé, au milieu de la cuisson. Pas très foncé, mais au moins pas de trace de brun.
B/ laine merinos en fil, dans l'eau déminéralisée tiède, sans craie, avec des infusettes de thé noir épuisées (ajout de tanins, ce que je fais quasi toujours avec les quinones pour un ton profond)
J'ai acidifié au vinaigre jusqu'à pH 4 (me rappelant que l'alizarine se révèle en acide). J'ai poussé au bouillon puis ajouté à ce moment-là 60% PDF de la même garance. Dès le premier bouillon, le ton était brun. Au final, laine rouille clair, que j'ai marronné en cuve d'indigo.
J'ai délibérément joué sur plusieurs variables: tanins, craie, pH, eau déminéralisée, laine dans le bain avant même de chauffer – 5 variables ! Je ferai le tri après.
Pas de photo, on sait ce qu'est le rouille. L'écheveau est parti en cuve d'indigo pour du brun.
C/ refait le A, en partant de mon hypothèse ci-dessus sur le travail enzymatique (je ne connais pas le détail, bien sûr, c’est de l’empirisme). J'obtiens de nouveau un beau rouge avec un très léger œil orangé -> différence: pesé 60% PDF, j'ai laissé bouillir 10 minutes, le temps que les enzymes soient désactivés, puis j'ai baissé le feu, ça a frémi ensuite à 60°C environ. J'ai arrêté après 40 minutes, et j'ai laissé toute la nuit dans le bain, couvert.
Echantillon 1: après 20 minutes; 2: après 40 minutes mais avec post-bain alcalin froid 30 minutes pour le carminer; 3 = après 40 minutes en 2 * 1 minute de cuve d'indigo 123 très épuisée.
En réalité, nos couleurs sur écran diffèrent. C'est une couleur très chaude, dense, rouge tirant sur l'orange,qui a à peine carminé après le bain alcalin (tiens?)
D/ Je referai demain le C/ en changeant i) le type de laine: sera merinos ou mohair et ii) ajout de tanins de thé ou iii) alunage sans la crème de tartre. Voir le D réel
E/ Idem C/ où après extraction selon C, j’ajouterai Ei) du coton mordancé acétate d'alun maison ou Eii) de la soie, en restant à 60°C pour le coton, à froid pour la soie .
J'ai déjà cardé pour en faire un fil, que je posterai... un jour:
J'espère pouvoir échanger avec Debbie Bramford ou d'autres personnes qui connaissent la recette, via le formidable groupe fb Natural Dye Education (sur inscription). Je poserai aussi la question sur le groupe francophone Teintures Végétales de Laines, Fibres et Matières Naturelles et, bien sûr, sur mon cher forum Tricofolk.
NB. 22/1/25. J'ai refait un test nr D, différent de mon projet ci-dessus. En italique les variables:: 50g de garance T. pour 125g de toutes-fibres (1 écheveau de coton AA, 1 peu de soie alunée, une mèche de weynsleydale alunée/crème de tartre, 60g de mohair en ruban aluné sans crème de tartre). Garance dans bouillon, sans fibres, avec un verre de jus de sappanwood dense (préextrait à l'alcool). Après 5 minutes, j'ajoute le coton et le mohair; après 10 minutes, je baisse le feu à 60°C; après 15 minutes j'ajoute la soie, après 20 minutes, j'ajoute la mèche. J'arrête la cuisson à minute 45, je laisse refroidir dans le bain 4 heures.
Les plus curieux de l'histoire des teintures végétales pourraient apprécier le travail de reconstitution que Micky Schoelzke (France) a fait avec garance et indigo/pastel pour recréer la fausse pourpre des temps anciens.
Elle a résumé ses recherches au Forum européen du textile 2023 en anglais ici
et en français ici.
Pour comprendre le concept de "faux pourpre", un extrait de l'intro:
"Il s'agit d'une teinture que l'on retrouve dans l'Antiquité, à l'époque où la véritable pourpre de coquillage était la teinture textile la plus recherchée, souvent réservée à l'élite. Mais ce qui n’est que pour les puissants devient souvent à la mode, et le violet a dû être une couleur de prédilection pour les moins riches également. L'homme n'a pas beaucoup changé depuis quelques milliers d'années... Les teinturiers de l'Antiquité,qui n'étaient pas les derniers à avoir le sens des affaires, ont mis au point une multitude de recettes moins onéreuses pour imiter la pourpre."
Page 9 de ce document, Micky traite de “Ne jamais faire bouillir la garance”
Un conseil très communément prodigué dans de nombreux livres et ressources pour la teinture à la garance est celui de ne pas teinter au-dessus de 80°C pour obtenir de « bons » rouges (questionnons-nous en passant sur ce qu’est un « bon » rouge...). Faire bouillir la racine de garance est fortement déconseillé dans la
plupart des ouvrages, tutos et divers articles grand public actuels. Néanmoins, la tablette néo-babylonienne mentionnée au début de cet article (traduction cité par Cardon) fait état de la recette suivante : “ Peigne la laine et fais-là bouillir avec de l’alun, à parts égales. Fais bouillir la garance avec la laine, à parts égales avec de l’eau et de l’eau sûre et après une heure, tu auras du rouge”. L’eau « sûre » est de l’eau additionnée de son de blé fermenté, donc acide. La tablette mentionne également, comme dans d’autres sources médiévales, l’existence de différentes qualités de racine de garance. Bien entendu, cette recette simple était très tentante à tester et nous l’avons gardée proche de l’originale à l’exception de l’utilisation d’eau sûre, remplacée par du vinaigre. Le mordançage et la teinture ont été effectués à 90°C pendant une heure. Pour comparer, la même procédure a été utilisée avec 50 % et 20 % d’alun également .Ses tests, dont je retiens que 20% d'alun sont suffisants (à mon avis notre copain babylonien était assis sur de la roche d'alun, pour en utiliser tant!).
Le son de blé fermenté: je le laisse, chez moi, fermenter dans le bain, il semble qu'il appelle des composants différents (en cassant des sucres?). Ici, il semble mis à fermenter séparément. Dans son excellent livre, Ulrike Bogdan s'inspire d'anciens textes pour ajouter du pain au levain complet dans son bain de garance, à mon souvenir (pain bien fermenté donc, le son avec!)
J’espère que vous aimerez cette recherche autant que moi ..
Son propre blog est fascinant aussi (bilingue français-anglais) https://atelierdemicky.blog/
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