20.11.2023 Tant que je suis à l'atelier, la tête dans les teintures, quelques réflexions sur des malentendus en teinture végétale. Mes notes et observations personnelles.
Quelques notes sur le sujet des températures en teinture végétale, car sans surprise, on lit tout et son contraire sur le net.
Nous sommes nombreux à vouloir mettre la pédale douce sur la chauffe, tout autant que sur le volume d'eau que l'on consomme lorsqu'on teint en naturel. Il faut cependant prendre en compte le contexte.
On peut gérer à froid, mais en durée, le coton et le lin ou la soie. La laine, en revanche, ne prendra pas si la température du bain de teinture ou de mordant n'est pas supérieure à 40°C, température à laquelle les écailles s'ouvrent. Dans le cas contraire, le mordant ou la teinture reste en surface et sera facilement lavé, frotté.
La laine doit être mordancée ou teinte AU MOINS A 40°C.
Les autres fibres peuvent être traitées à froid si on prend le temps d'attendre.
Si vous suivez des copines qui mordancent la laine à froid, demandez le contexte: si elles travaillent en été, et dans le Sud de la France, je gage que leur pot fermé, au jardin, est monté proche des 40°C. Cela n'arrive quasi jamais en Belgique! Elles croient donc mordancer à froid, alors qu'elles mordancent tiède.
Seule exception à la règle des 40°C: la macération alcaline se fait à froid réel pour les teintures (impossible en mordançage, qui est acide). Jenny Dean nous a appris qu'on pouvait extraire la couleur et/ou teindre la laine à froid, à condition que le pH soit très élevé - autour de 10. A froid, l'alcalin n'abîme pas la laine, selon elle. Mais l'extraction prend 48 heures ou plus au lieu d'une heure en bouillon; la teinture pareil. Il faut être patieent.
J'ai exposé ses principes d'extraction alcaline dans un billet, suivi par de multiples tests. Cherchez dans les archives sur "extraction alcaline" pour voir tous les billets de tests.
Sur sa page facebook, Michel Garcia a récemment comparé deux formes de mordançage de la soie : long mordançage à froid à l'alun, pendant 18 heures (le minimum minimorum, selon ses cours, est de 6 heurs) ou court trempage en acétate d'alumine maison. Pas de différence. Depuis deux ans, je mordance la soie à froid, pendant 5 minutes, en bain d'acétate, avec beaucoup de succès. Voir ci-dessous pour le détail.
Autres techniques économes en chauffe pour la teinture : la marmite norvégienne ou le semi-bouillon; la teinture solaire d'hiver et d'intérieur - ;) - tous résumés dans le billet Les teintures végétales efficaces en cuissons écolo
La teinture à froid (vraiment à froid, pas en condition tiède due à l'environnement) ne révèlera pas non plus les mêmes colorants. Le jaune de sophora, par exemple, ne devient brillant et lumineux qu'après bouillon. La garance ne sort pas les mêmes couleurs à froid ou à chaud (même en montée douce). Je ne connais pas assez le sujet, j'expérimente au cas par cas, en notant dans mon petit carnet à spirales ;)
Dans son premier livre, Jenny Dean reprend un tableau de teintures à froid ou à chaud.
Envisageons ensuite le mordançage à l'AA. En cellulosiques et soie, Michel Garcia nous a appris une technique très facile et rapide, qui remplace les longs procédés "à la turque" décrits dans les textes anciens. On fabrique à la demande, au jour le jour, une solution d'acétate d'alumine à base d'alun, de vinaigre et de cristaux de soude. Cette solution est très instable. Au début, par association d'idées avec l'alun pour laine, et mal informée par mes lectures (Jenny Dean et Karin Delaunay se trompent sur ce fait particulier), je la chauffais pendant une heure. Or, elle se dégrade avec la chaleur, le mordançage était un peu tristounet.
Le mordançage à l'acétate d'alun fait maison se fait A FROID, pendant 5 MINUTES.
On ne garde pas la solution d'un jour à l'autre, on la refait chaque jour.
Il n'est pas utile de laisser la fibre longtemps dans cette solution-maison. Il faut imaginer qu'elle agit comme une éponge à l'inverse des tanins, par exemple. On trempe la fibre dans la solution froide, on la malaxe un peu pour être sûr d'avoir fait pénétrer dans toute la fibre. On essore sans rincer. On sèche à coeur jusqu'à ce que toute odeur vinaigrée disparaisse. Dès qu'on veut l'utiliser, on fixe le mordant, toujours à froid, toujours 5 minutes, dans un bain de son (10g/litre) ou de percarbonate de sodium (1g/litre) - sources Michel Garcia, que je suis volontiers pour sa rigueur et ses vérifications de données.
On ne garde pas non plus les solutions de fixation, qui s'acidifient trop vite.
Ce qui précède ne vaut pas nécessairement pour l'acétate d'alun acheté en commerce, que j'ai abandonné vu les tristes résultats (Garcia a expliqué pourquoi).
La solution-maison est résumée dans Retour à l'atelier: mordancer, le 10/1/2021 et détaillée dans Bain d'acétate d'alumine. J'imagine qu'on peut la retrouver sur la page facebook de Michel Garcia, via le bouton recherche.
Je prends comme illustration en photo de ce qui précède une image provenant de la page facebook de Leentje van Hengel (NL). On y voit la grande différence de prise de ton lorsqu'on chauffe la solution AA. La couleur grenat a été mordancée à froid, si je lis bien son exposé. La couleur corail à chaud (dont on vient de voir que cela dégrade le mordant). Les deux tissus ont été teints dans le même bain de garance. Je répète: ne pas chauffer le bain AA. On ne peut mieux comprendre qu'avec cette photo-ci, merci à Leentje van Hengel.
J. Liles donne des températures idéales pour chaque type de cuve (zinc, fer, etc.). Je préfère m'en tenir à la cuve 123 de Garcia. Selon ce dernier (ça vaut, j'imagine pour la cuve 123 organique): la laine teint au mieux à 35°C, la soie à froid, le coton peu importe la température
Tant qu'on est dans la cuve, toujours selon MG, je recopie mes notes de stage: "Le pH doit être à 12 pour du coton, 10 pour de la soie, 9 pour de la laine. Du coton teint à un pH de 10 ne serait pas solide à la lumière"
J'espère que ces quelques notes aideront à voir plus clair. Pour ma part, suivre ces conseils me rend la teinture rapide et efficace.
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