19.11.15 Suite. Brouillons de billets pour démythifier le domaine
Les techniques de teintures qui nous sont proposées dans les livres grand public sont souvent des dérivés d'anciennes techniques de professionnels. Nous n'avons pas les mêmes exigences.
En outre, nous ne sommes pas présents en permanence à l'atelier et nous sommes beaucoup à être attentif aux consommations électricité/eau.
Il est temps d'adapter ces conseils qui s'avèreraient bien obsolètes si on prenait le temps de les tester. Je ne prends ici que l'exemple d'un écheveau de laine, pour réduire les variables.
Sur le même modèle de ma proposition en nutri de cuisine minimale (on peut manger très sainement, sans additif, quasi sans cuisiner, sans acheter de produits préparés,..) je crois pouvoir donner des pistes pour la teinture minimaliste, que je teste depuis 3 ans.
On nous proposait auparavant deux solutions:
Le timing pour Sol1 ne durait que le temps du bain d'extraction, soit une heure à 80°C, en montée lente ou rapide selon le colorant.
Pour Sol2, on calculait 1 heure de mordançage dans un bain spécifique, à 80°C (d'où consommation électricité/eau). On préconisait un séchage intermédiaire de la laine mordancée, pour une meilleure prise de couleur. Zut! Attendre deux semaines encore? Et puis enfin, 1heure d'extraction de la couleur, en y trempant la laine.
Au mieux, cela durait 2 heures pour Sol2. Au pire deux semaines.
On verra dans les pages suivantes le plan "écono-logique" et "toxique". Ici je ne parle que du timing.
Voyons quelles solutions s'offrent à nous pour se faciliter la tâche?
On peut mordancer à froid (sans surveillance, la durée importe donc peu); on peut utiliser les monobains acides de Michel Garcia (sans mordançage, 1 heure pour toute l'opération); on peut extraire la couleur à froid en bain alcalin (la durée ne compte pas dans le timing, puisqu'aucune surveillance). Pour le bleu via l'indigo, si on utilise une cuve de réduction 123, on peut improviser une teinture sans même chauffer la colle! On vérifie les paramètres, on trempe et on regarde le bleu monter sur la fibre.
J'ai pris l'exemple de la laine pour ce billet. Pour le coton, les teinturiers sont souvent freinés par les difficiles procédures de mordançage des Anciens. Eh bien, on peut aussi préparer efficacement et rapidement les cotons, désormais!
Si j'en juge par tous les documents scientifiques transmis par des chercheurs indiens et par les expériences d'autres teinturières s'aventurant hors des sentiers battus et rebattus (pensons à Ulrike Bogdanxx), c'est surtout l'extraction qui doit être longue (1 heure - et très chaude). Raison pour laquelle tant de teinturiers pros fonctionnent plutôt à partir d'extraits colorants.
Le bain de teinture ne prend finalement qu'une vingtaine de minutes (confirmé lors des stages avec Michel Garcia: il teint souvent dans ce délai, selon mes notes). Ulrike Bogdan est aussi une grande testeuse et aussi une écolo antigaspi: de tous ces tests depuis 20 ans, il ressort que teindre plus longtemps la laine ne sert à rien. Pas plus de montée de couleur. Mais elle laisse refroidir la laine dans le bain, comme nous tous.
Son formidable ebook n'existe qu'en allemand. Long et détaillé, fouillé, documenté. On n'est pas volé, tiens.
On peut mordancer la laine à froid ou quasi, ce qui ne demande pas de surveillance, ça ne compte pas dans le timing:
NB Je n'attends pas 24 heures, car j'utilise de l'eau du robinet hyperchaude pour ce bain. Je le couvre en marmite norvégienne. En 4 heures, j'y suis.
Les conseils classiques nous demandent de rincer la laine ensuite et, dans le cas idéal, de la faire sécher une quinzaine de jours (J. Liles, Delaunay) pour que les couleurs soient plus profondes. Guess what? Je ne le fais pas et j'ai de belles couleurs profondes: j'essore la laine, je la trempe directement dans le bain de teinture.
Je n'ai pas encore testé de technique à froid pour le mordançage au symplocos. Mais je m'organise: je pèse une série de fibres, je dose le symplocos à 20%, je le cuis et je filtre, je laisse macérer les fibres dans ce jus encore chaud.
Autre atout pour les amateurs de timing étudié. Michel Garcia, notre chimiste vert de génie, a découvert une technique de monobain acide dans mordant, qui peut ne prendre qu'une heure.
Il les commercialise sous forme de poudre prêt à l'emploi: "verser le contenu du pot dans l'eau, même poids de tissu, chauffer environ une heure. C'est teint !". Et c'est solide! et chatoyant! rajoute le bonimenteur de foire que je suis à mes heures.
Cette technique que j'expose en détail dans ce tome ne fonctionne que sur quelques plantes/insectes, mais elle donnera de beaux rouges (cochenille), cuivrés à bordeaux (garance, selon postbain), violets (orcanette), beiges à bruns (brou de noix), jaunes (rhubarbe et bourdaine). Imaginez la palette quand on les combine ou qu'on double d'un bain d'indigo.
En procédures à froid, on peut simplifier le bain d'extraction de la couleur et même le combiner à un bain de teinture à froid si l'on utilise les extractions alcalines formalisées par Jenny Dean.
C'est par hasard que j'avais découvert l'utilité de ces bains. En dentelles végétales (voir mon autre blog), on cuit les feuilles de lierre, de magnolia, etc. dans un bain alcalinisé à un pH de 11 à 14 selon les cas. En bonne écolo, j'ai testé la version à froid (sans succès hélas, à ce jour). Au cours de ces tests, j'ai eu l'idée de laisser tremper des fils de laine, de coton, de soie dans ces bains à froid. Bien m'en prit: que de beaux résultats!
C'est lors de la lecture du dernier livre de Jenny Dean que j'ai pu m'y donner plus à fond.
La procédure est simple: faire tremper dans un seau, couvert ou non, les plantes dans de la lessive de cendres ou de l'eau alcalinisée jusqu'à un pH de 10. Vérifier régulièrement que l'eau ne s'acidifie pas (c'est son intention, dès qu'on ajoute de l'organique la nature tire vers l'acidité). Ne surtout pas chauffer. Après 3 jours, ramener ce bain au neutre à l'aide vinaigre. Y placer la laine, chauffer à 60°C pendant 20 minutes (ou moins, mais garder en marmite norvégienne).
Procédure 2: comme ci-dessus (faire tremper dans un seau, couvert ou non, les plantes dans de la lessive de cendres ou de l'eau alcalinisée jusqu'à un pH de 10 en y ajoutant dès le début la laine, protégée dans une poche de nylon). A froid, l'alcalin n'attaque pas la laine. Sortir la laine après 2 jours. La rincer dans de l'eau vinaigrée (impératif).
Sur le plan théorique, cette pratique peut paraître absurde puisque la laine prospère dans des zones acides. Sur le plan pratique, la laine prend bien la teinture et ne s'abîme pas, ne devient pas rêche.
Pas de recherches à ma connaissance sur la tenue lumière/sueur/frottements à sec ou humides. Tenue lavage: Jenny Dean a testé, j'ai testé, pas de différence avec l'extraction/teinture par bouillon.
On peut aussi s'épargner le stockage des plantes et la durée du bain d'extraction: teindre à partir d'extraits colorants, qui se présentent en poudres à diluer dans le bain de teinture. Geste très proche de la dilution des colorants de synthèse.
Je ferai des fiches par couleur sous peu. Pour ne pas allonger le temps de teinture en extraits colorants, je vous invite à mordancer des fibres en série et à les sécher sous cette forme.
Avec les extraits colorants, le timing est donc réduit, tout comme l'espace de rangement nécessaire. On se garantit une couleur uniforme d'un bain à l'autre (ou presque, car nous ne sommes plus dans la chimie pure comme avec les teintures de synthèse).
Pour de beaux bleus ou des surteintures des autres solutions, ce qui élargira toute la gamme, si on utilise une cuve de réduction 123, on peut improviser une teinture sans même chauffer !
Il suffit d'avoir préparé la cuve de départ (ça me prend 30 minutes, le plus long étant de produire du jus de feuilles de henné), parfois prête immédiatement, parfois après une heure ou un jour. Mais à nouveau sans surveillance: ça compte pour du beurre dans le timing. Je reste pas là à regarder la cuve travailler tout de même...
Dès qu'elle est amorcée, et qu'on a appris comment la relancer, on teint à l'arraché, quand on le sent, quand elle est prête (avec les trois critères exposés plus loin, je n'ai jamais raté la relance). La teinture durera... le temps qu'il faut selon la laine, la densité du bain, etc. On la replonge dedans en la réoxydant au passage, autant de fois que nécessaire. On la rince à l'eau vinaigrée, puis on la sèche.
C'est d'un fastoche! On ne doit même pas prévoir un bain de rinçage chaud pour éviter que la laine ne subisse de choc thermique.
Cette cuve organique est une mirifique invention
Le créateur de cette variante de cuve d'indigo, Michel Garcia, insiste pour qu'on chauffe à 40°C pour la laine, et qu'on limite le pH à 9. Que de contraintes! J'ai testé la teinture indigo de la laine à froid à pH de 10.5 dans la cuve 123: ça prend bien, sans rêchitude, et surtout c'est résistant à la lumière! Selon mes tests ménagers en été belge, tests humbles mais assez probants pour que j'observe qu'en revanche, la laine teinte à froid, pH 10.5, en cuve classique à l'hydrosulfite, n'a pas gardé le beau bleu de départ.
Rappel: baigner les laines dans un environnment alcalin n'est délétère qu'à chaud, selon l'expérience des exploratrices du pH en teintures.
Je n'ai pas ici repris deux mouvances qui tiennent plus du rituel que de la pratique raisonnée et efficace. On a besoin de rituels. Mais je mets les miens dans d'autres pratiques. Je ne reprends donc pas la mouvance Anne Rieger (fermentations, système aléatoire et flou, aux résultats peu reproductibles) ou India Flint (eco-dyeing, soit jouer à la teinturière, sans tenue durable des couleurs, couleurs souvent d'ailleurs très éteintes et peu engageantes).
Pourquoi tous les sites et ces livres sur la teinture continuent-ils à jouer de l’alun, du tanin, du réalun en mordançage du coton et du lin (trois étapes, parfois plus), alors que l’acétatalunage à froid de Michel Garcia est enfantin et si probant dans ces effets sur les celluloses, réputées difficiles à mordancer?
C'est infiniment plus rapide que les anciennes techniques, ne demande pas beaucoup d'eau ou de rinçage, et quasi pas d'électricité - critères qu'on étudiera en détail dans le billet sur l'énergivorité.
Recette: 5 l d’eau dans une casserole, chauffés à 40°C ; j’y verse 50g de sulfate d’alun (2 cuill. s. bombées) ; 1 minute pour qu’il fonde ; j’ajoute 25g de cristaux de soude (1 cuill. s. très bombée) ; je tournicote jusqu’à ce que ça s’arrête de pétiller ; je verse petit à petit ½ l de vinaigre de vin blanc, en tournant doucement, jusqu’à ce que je voie le fond de la casserole, le liquide est bien limpide, tout est transformé en acétate.
J’y trempe chaque lot de coton/lin :
Lot que j’essore et que je fais sécher illico.
Je fais sécher les linges en séchoir et les fils… au four de la cuisine ! Belgique oblige, peu de soleil. Taty oblige, pas de patience : il me les faut demain. Or, il est capital qu’il sèchent à cœur. J'ai étalonné le four à l'aide d'un thermomètre ad hoc: je sais quelle température l'option chaleur tournante à 60°C donne exactement.
Je mordance en une fois tout ce qui bouge car cette préparation maison est instable (surtout quand on la chauffe) et ne conserve pas bien. On peut garder dans un seau de la taille du volume restant, bien fermé (pour éviter que le vinaigre du mélange ne se retransforme).
SURTOUT ne pas oublier avant de teindre de neutraliser l’acidité du mordant par un bain de craie suivi de rinçage ou de lessive de cendres sans rinçage.